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Entre géographie humaine et histoire politique, unité et diversité du Maghreb contemporain
François BURGAT
Outre la géographie physique et l’histoire longue, ce sont très logiquement l’histoire contemporaine, l’économie et bien sûr la politique qui, entre la Libye et la Mauritanie, dans cette “Afrique du Nord” des Français ou ce “Maghreb” des Orientaux, ont façonné un terroir à la fois très homogène par plusieurs aspects mais néanmoins très diversifié.
Entre les frontières naturelles ou les “traits d’union” que sont le Sahel et la Méditerranée, la strate initiale du peuplement berbère a interagi d’abord, à partir du 9ème siècle, avec le vecteur arabe de l’islamisation. Au sortir de la présence ottomane (que le Maroc n’a pas connue), les substrats berbères et arabes, (dont l’interaction s’est poursuivie jusqu’à ce jour comme en atteste le dynamisme des courants berbéristes) ont ensuite subi, pendant des périodes et selon des modalités juridiques distinctes (de 44 et 75 ans de protectorat pour le Maroc et la Tunisie à 132 ans de colonie pour l’Algérie), une même sinon une identique colonisation française (italienne en Libye). Depuis le Machreq, c’est l’impact culturel et linguistique de cette forte influence française qui donne sans doute jusqu’à ce jour au Maghreb sa première spécificité. En interne, c’est également de cette influence française imposée que proviennent, avec une partie de la “cohérence” sociétale, les très profondes tensions identitaires qu’exprime pour une part la poussée islamiste. La matrice sociétale du Maghreb post-colonial a évolué très logiquement en fonction des choix des élites dirigeantes postcoloniales qui, sur le socle d’un héritage colonial commun et en recourant à des formes d’autoritarisme très comparables, ont adopté des stratégies économiques et opéré des alliances régionales relativement distinctes.
La disparité de la dotation des élites nationales en matière de ressources, économiques bien sûr mais également symboliques (dans le champ du nationalisme, en fonction des spécificités de chacun des mouvements nationaux), explique en partie au moins la relative différence des performances respectives des régimes. La mainmise absolue du FLN algérien sur la légitimité nationaliste n’a pas eu son équivalent dans le Maroc (où le trône a dû la partager avec l’Istiqlal) ou la Tunisie voisine (où Bourguiba a dû s’accommoder des Youssefistes). C’est à Alger seulement que l’abondance de la rente pétrolière a longtemps mis le pouvoir à l’abri de toute introspection sur les limites de son modèle de développement. L’impact plus ou moins fort de la déculturation mais également les postures différenciées des régimes dans le champ religieux -du “fondamentalisme d’Etat” du trône marocain au laïcisme volontariste de la Tunisie de Bourguiba- ont accentué la diversité du leg colonial. Ces différences ont pour partie conditionné le rythme et les modalités du “mouvement”, culturel et politique, qui, depuis les indépendances, transforme les sociétés et les conditions dans lesquelles elles répondent à la fois au trouble identitaire persistant hérité de la colonisation ou plus banalement aux aspirations sociales des générations nées de l’importante croissance démographique post-coloniale. Ces différences structurelles, héritées ou fabriquées, illustrent en partie les blocages persistants dont souffrent encore l’Algérie (plus nettement encore que) le Maroc et (moins que) la Tunisie, et la lenteur avec laquelle s’impose cette nécessité de “faire de la politique” et (par delà la fracture coloniale et les raccourcis de l’autoritarisme indépendantiste qui lui ont succédé) de réconcilier enfin les citoyens du Maghreb avec leurs institutions politiques.